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Interview de Jean-claude Welche

SEPTEMBRE 2005
« Jouer de la musique, c’est communiquer »

Je sonne, pousse la barrière et monte de nombreuses marches chaotiques qui me mènent à un immense parc où broutent des chevaux : Jean-Claude m’avait effectivement déjà parlé de ce parc qui ne lui appartient pas mais dans lequel il peut faire résonner son cor des Alpes « comme si » il était en Suisse ; la vue s’étend loin sur la nature et offre un espace de liberté…

Une porte est ouverte, je la pousse : j’entre dans une pièce, à la fois lieu de vie puisqu’un coin cuisine est à ma gauche, et … île dans le Pacifique avec son décor de palmiers et son coffre de pirates… et antre musical avec des violons, une mandoline, un piano électrique ; ah oui, et dans un coin, appuyé tout en hauteur contre le mur quoique démonté, ce que je suppose bien être le fameux Cor des Alpes.

Et je n’ai pas terminé l’inventaire musical ! 3 enfants, la bouche pourfendue d’un large sourire devant mon regard interloqué, s’essaient qui à souffler dans … un tuyau muni d’une embouchure, qui à … passer un archet sur des clous plantés dans une planche et qui à frapper en rythme des… pots à fleurs enfilés l’un sur l’autre… Et c’est alors que débute tout doucement le chant extraordinaire d’une sirène… qui va et vient, comme des vagues qui vous emportent au bout du monde, au bout de votre âme…

Dans le silence revenu, Jean-Claude apparaît, sa scie musicale à la main… et c’est dans cette ambiance féérique que nous débutons l’interview.

Jean-Claude Welche, le violon, la scie musicale, le violon baroque, le piano, le cor des Alpes, la mandoline et j’en passe… qu’est-ce qui vous pousse à toutes ces découvertes ?

(rire…) Ce qui me vient en premier, c’est … casser des barrières… casser un ordre bien établi, dans et pour lequel j’ai été éduqué et que je n’ai pas choisi vraiment moi-même, tout à fait consciemment. C’est le désir d’être différent, de pouvoir exister en étant différent et de me sentir unique dans ce que je fais : parce que si je fais des choses que tout le monde fait, j’ai un sentiment de compétition, je me compare et je ne me sens pas à l’aise ; par le fait d’être unique dans ce que je fais, j’y suis le meilleur ! et donc je suis très à l’aise.

Puis, le fait d’être… je suis créatif ; imaginer toujours des nouvelles choses ; lorsque j’ai imaginé une nouvelle chose et l’ai mise en action, en imaginer une autre, cela me plait beaucoup, cela me fait vivre, cela me donne une raison de vivre.

Vos parents étaient tous deux musiciens ; et pourtant, vous avez débuté le violon assez « tard »…

C’est un choix d’adolescent parce qu’avant, je ne voulais pas faire de musique ; c’est vers 11-12 ans que j’ai commencé la musique.

La musique, c’est une affaire de famille chez vous ?

Oui… (longue pause). La musique, le fait d’avoir une éducation musicale, de connaître les notes de musique, de jouer d’un instrument ; et c’est vrai que dans mon esprit, dès mon premier cours de musique, je  » savais  » que je serais musicien. Mais pourtant, je n’ai pas l’impression que cela ait été un choix : c’était programmé quelque part ; parce que là aussi, si j’ai fait de la musique, c’était pour me distinguer… pour avoir un domaine où j’étais différent des autres et où je pouvais exceller, donc me sentir bien.

Oui, mon éducation musicale, c’était une affaire de famille, mais tout ce qui s’est passé après, non. Ou si c’est une affaire de famille, ce l’est dans le sens où j’ai voulu me distinguer, me différencier et ne pas rester dans ce pour quoi je m’étais senti programmé ; trouver une liberté, casser des barrières, comme je disais tout à l’heure… trouver ma propre identité…

Revenons-en brièvement au tout début de votre carrière musicale : la musique, c’est aussi des lieux pleins de souvenirs ? Je songe au Palais des Beaux-Arts de Charleroi : j’imagine qu’au-delà de la musique à proprement parler, ce n’est pas par hasard que vous avez joué autant d’opérettes comme violoniste d’orchestre ?

Non, c’est sûr… c’est sûr que d’avoir entendu mon père jouer dans les orchestres et de savoir qu’il avait joué ces opérettes et qu’avec ma maman, il parlait de ces opérettes – un souvenir de quelque chose, une lumière dans les yeux, elle chantait : les seuls chants que j’aie pu entendre maman chanter, ce sont ces chants d’opérette – cela m’a marqué. Et puis, dans cet orchestre du Palais des Beaux-Arts de Charleroi, il y avait un ex-élève de mon père, contrebassiste, qui remplaçait mon père et … je ne sais pas, c’était comme si mon père était là pour moi ; oui, à ce point de vue là, tiens, c’est vrai que… mais je ne pensais pas à mon père tout à l’heure en répondant à la question du rapport familial à la musique, je pensais à l’éducation de ma mère qui jouait du piano tous les matins de façon, pour moi en tout cas, très rigide, scholastique.

La musique, c’est aussi des rencontres avec des musiciens qui vous marquent ? Votre manière de jouer de la scie musicale, debout, n’est pas courante…

Oui, c’est… les gens qui me voient (rire) ne savent pas qu’on peut jouer assis car ils n’ont pas souvent vu jouer de la scie musicale ; alors, je leur explique un peu mon processus. C’est vrai que… déjà, jouer assis, pour moi, c’est très bloqué, il n’y a pas de liberté ; en jouant debout, j’ai un contact plus proche du public. Aussi, j’ai rencontré un Monsieur qui, à l’époque, m’a touché par son âme d’artiste, qui jouait debout et voilà, c’est vraiment ce Monsieur qui a été un tremplin pour moi pour aller plus loin avec la scie musicale – la lame sonore, comme certains l’appellent – j’ai trouvé dans sa façon de jouer quelque chose qui me parlait et je l’ai adoptée.

Techniquement également, c’est une manière…

Voilà… techniquement, les joueurs de scie musicale vibrent avec la jambe : cela produit un vibrato qui, pour moi, est très régulier et très mécanique, que je n’aime pas du tout et que d’ailleurs, physiquement, je ne suis pas parvenu à contrôler ; tandis que le vibrato avec la main gauche, la main du cœur, la main avec laquelle je vibre au violon, pour moi, est beaucoup plus subtil, beaucoup plus … plus près du cœur simplement.

Le violon baroque aussi, c’était une rencontre ?

Oui, là c’est toute une histoire… un livre peut-être… (rires) ; d’ailleurs, c’est un chapitre important sur ce site ; eh… c’est vraiment… en quelques mots, je dirais, c’est, pour moi, la découverte de « l’être » au lieu du « paraître » ; parce que j’ai beaucoup fonctionné dans ma vie en essayant de séduire quelque part, et dans la musique, lorsqu’on est sur une scène, c’est vrai qu’il y a une part de séduction… Or, je suis arrivé à un moment où ça ne me convient plus de « paraître » et de ne pas « être » en connexion avec moi-même. D’ailleurs, même mon corps n’accepte plus les contraintes que cela lui impose : j’ai des tendinites, j’ai eu une hernie discale ; ce sont des signes qui m’ont alarmé : je me suis dit, il y a quelque chose qui doit changer…

Au violon baroque, déjà la tenue très libre de l’instrument m’a interloqué… je voudrais dire que la première fois que j’ai tenu un violon… si j’ai voulu faire du violon, c’est parce que je voulais savoir comment on pouvait « tenir » ce violon, comment on pouvait le « coincer » entre le menton et l’épaule ; et je voyais des violonistes qui le maintenaient sans le soutenir avec la main ! Et c’est vrai que durant toutes mes études de violon, j’ai été obsédé par cette idée, de mettre un coussin à un millimètre près, d’acheter un coussin comme ci, une mentonnière comme ça, pour que le violon tienne, et je me disais : « si jamais j’ai un pull qui glisse, je vais rater mon trait, je vais rater mon concert… » ; ça m’a assez obsédé. Et aujourd’hui, ma démarche est justement de ne plus du tout tenir le violon avec le menton mais de trouver une liberté sans béquilles – un coussin, une mentionnière, etc -, de trouver une assise beaucoup plus intérieure.

Donc, pour moi, le violon baroque, c’est … c’est « être », c’est-à-dire que … Pour pouvoir transmettre quelque chose, il faut avoir trouvé quelque chose à l’intérieur de soi, une sérénité, un calme ou bien de la joie quand c’est de la joie à transmettre; et à ce moment-là, il y a quelque chose qui passe… Ce n’est plus du tout jouer comme un acteur, c’est très différent. Et dans ma démarche personnelle de vie, c’est un peu ce que je cherche… ce n’est pas par hasard que j’en suis venu au violon baroque !

C’était une rencontre ? Comment y avez-vous songé ?

Oui, c’était… comme pour la scie musicale, des « coïncidences », des « hasards » – auxquels je ne crois pas ! Quelqu’un a dit :  » Le hasard est l’alibi de Dieu « … Une rencontre à un jour d’intervalle avec deux personnes qui me parlent d’un stage de musique baroque… et je me suis dit « Tiens ! Je vais faire ce stage ! ».

Et puis voilà, j’ai senti quelque chose… déjà le contact avec les musiciens : extraordinaire ! Quand on joue de la musique baroque, c’est un contact complètement différent : un contact humain, enrichissant ; des gens qui voient aussi, au-delà de l’instrument, de la technique de l’instrument, l’être intérieur de la personne qui joue et voilà… L’instrument devient vraiment un moyen de communiquer ce que l’on est et n’est plus une démonstration de prouesses techniques ou musicales ; et pour moi, c’est vraiment très important.

Et c’est pour cela que je peux jouer beaucoup d’instruments et en changer : je ne suis plus violoniste ou joueur de scie musicale, je suis… je suis Jean-Claude avant tout, contrairement à  » avant  » où on parlait toujours de moi comme  » le musicien « ,  » le violoniste  » ; maintenant, je suis Jean-Claude, ensuite je suis artiste, et puis je suis musicien et puis, je joue – je ne suis pas violoniste mais je joue du violon, je joue de la mandoline, je joue… c’est encore un peu confus, je ne sais pas encore ce que, dans un an ou deux, je jouerai… des verres en cristal en tout cas ; après, … je ne sais pas !

Et le Cor des Alpes, c’est encore le « hasard » d’une rencontre dans un pays que vous adorez, la Suisse …

Oui, c’est en Suisse que j’ai entendu un CD de cor des Alpes tout à fait extraordinaire, avec une personne qui jouait de la scie musicale que j’avais rencontrée « par hasard ». C’est la découverte aussi avec moi-même dans le sens où – comme en faisant du chant par exemple – j’ai pris conscience de la respiration et de mon corps comme jamais je n’en avais pris conscience en jouant du violon ; et pourtant, c’est très important de respirer en jouant du violon mais je n’en avais pas pris conscience.

Et là, le fait de jouer du cor des Alpes, j’ai un contact avec mon corps et une sensation même physique de bien-être tout à fait nouvelle et qui me fait aussi prendre par la suite mon violon d’une façon complètement différente, avec d’autres sensations.

Et puis, c’est un instrument qui a un son à la fois très velouté – puisque c’est du bois – mais aussi très puissant : quelque part, c’est aussi un désir de me faire entendre – certainement ! – de me faire voir, de dire : « J’existe, j’ai des choses à montrer, à dire et à vous faire entendre ». C’est la trompette des anges qui annonce des choses importantes… J’ai fait un stage en Suisse et Gérald Pot, un grand Monsieur qui fabrique des cors des Alpes, disait « Le cor des Alpes, dans les cieux, c’est l’instrument des anges ! »

Ça doit être assez fabuleux, ces rassemblements de centaines de joueurs de cor des Alpes ?

Oui, c’est une énergie, une force… tiens, on parlait de mes parents (on en revient toujours quelque part à ses racines !), c’est vrai que … Dans ce groupe, comme je ne suis pas encore un « pro » du cor des Alpes – cela demande des années pour former la musculature, surtout pour jouer dans l’aigu ! – j’ai joué dans les basses et je pensais toujours à papa qui jouait de la contrebasse… et j’ai un plaisir de jouer ces basses, d’aller chercher ces notes qui ronflent vraiment, surtout quand on est plusieurs ; un plaisir de le faire mais aussi un plaisir d’imaginer papa qui était là…

La musique, affaire de famille quand vous étiez enfant, mais aussi actuellement ?

C’est sûr que mes enfants baignent dedans ! Mon épouse peint en musique, elle trouve cela génial : en fait, avant, elle mettait de la musique pour peindre, maintenant, elle l’a en direct !

Mes enfants (ils ont 8 ans), si on leur demande « Tiens, papa, qu’est-ce qu’il joue ? », ils vont répondre aussi bien de la scie musicale que du tuyau d’arrosage que du violon : ils ne voient pas la différence !

Mais je n’ai pas du tout l’intention de les forcer, il faut que ce soit naturel. Ils commencent un peu des cours de musique mais pas de façon systématique. Je n’ai pas envie en fait – voilà, c’est ça la raison – je n’ai pas du tout envie qu’ils l’apprennent de la façon dont je l’ai apprise, tellement scolaire, tellement solfégique ; parce que moi, c’est seulement maintenant que j’essaie de me dégager de cette emprise de la partition, d’improviser un petit peu ; et c’est tellement difficile pour moi ! J’envie tellement les gens qui sentent la musique de l’intérieur et qui n’ont pas besoin de cette partition qui, pour certains, c’est sûr, est une liberté mais qui pour moi, est une contrainte…

Donc, j’ai davantage envie que mes enfants – et même mes élèves – apprennent la musique davantage par le ressenti et puis, la partition vient appuyer ce qu’on a ressenti ; mais pas d’abord la partition, et puis le ressenti jamais, parce que, si on ne fait pas une démarche personnelle, on reste toujours centré sur la partition ; alors que les notations ne sont jamais qu’un langage abstrait pour essayer de transmettre des émotions, ce n’est jamais qu’un langage avec toutes ses imperfections !

C’est Gwénola, votre épouse, qui réalise les décors de vos animations musicales en milieu scolaire ?

Oui, oui, oui … Je dois dire qu’elle y met tout son cœur, son talent et nous avons pour projet de mêler ses personnages féériques à la musique et aux instruments qui sont féériques aussi, magiques …

Elle écrit des contes, je pense ?

Elle écrit des contes pour les enfants, pour aider les enfants à lire ; je crois qu’elle les emmène aussi dans un monde assez féérique et c’est ce que je fais aussi ; on se complète bien dans ce domaine ; et notre rêve, c’est de faire des spectacles ensemble.

Au cours de vos animations scolaires, vous poursuivez la recherche et la création, puisque vous  » inventez  » des instruments que les enfants peuvent réaliser et dont ils peuvent jouer en quelques séances ?

Tout à fait. Oui, je ne peux transmettre que… – dans ma démarche « d’être » et non plus de « paraître » – je ne peux transmettre vraiment, avec joie en tout cas, que ce que je suis et ce en quoi je crois ; c’est ainsi par exemple que j’ai pris 6 mois de congé sans solde durant lesquels j’ai pris du recul par rapport à mon enseignement en académies de musique parce que la façon dont j’enseignais ne me convenait plus ; maintenant, j’ai repris, avec une autre méthode, que j’adapte bien entendu aux obligations de l’académie.

Mais dans mes animations, j’ai besoin de m’amuser pour amuser les enfants et leur transmettre quelque chose et ce qui m’apporte de la joie, c’est cette liberté que je trouve, ces découvertes… abandonner l’idée qu’il faut être riche et avoir un super violon pour réussir ; parce que j’ai cru cela à un certain moment dans ma vie : que j’étais limité parce que je n’avais pas un super instrument ; et je m’étais limité moi-même, dans mes études.

Je crois qu’il faut pas se leurrer : les enfants ont besoin de réaliser tout de suite quelque chose, ils ont besoin… on n’est plus à l’époque où on peut les obliger à rester assis durant une heure et à étudier du solfège, sans image, sans magie ; on est à l’époque des dessins animés super performants, de l’ordinateur où, c’est vrai, on appuie sur une touche et on obtient directement des choses extraordinaires ; il faut – enfin, j’ai envie de – de les amener au côté, oui au côté obligatoire, technique, apprendre une partition et tout cela, mais par le jeu, par une motivation personnelle ; c’est tout un défi.

Que ce soit lors de vos animations scolaires ou lorsque vous donnez cours à des enfants – et à des adultes aussi d’ailleurs – quel est le message principal que vous souhaitez leur faire passer ?

J’en parle dans mes animations, les mots qui me viennent sont : « magie », « tout est possible », « ne pas se mettre des limites en disant ‘moi, je n’ai pas l’argent pour cela' ». Voilà, on est là avec des objets autour de nous ; je songe à Mc Gyver dans ce fameux feuilleton : il est simplement dans un atelier et il trouve toujours ce qui lui faut pour réaliser quelque chose d’extraordinaire sans moyens financiers exhorbitants. C’est un peu pareil ici, c’est dire « c’est possible, on peut briser certainement encore des limites » ; de la magie, de la poésie ; pour les amener bien sûr ensuite, s’ils ont envie, à un instrument plus reconnu, mais s’ils ont envie seulement.

Et lors de vos cours ?

Là, il faut faire la différence entre stages, cours privés, cours en académies ; mais c’est ce message-là que j’ai envie de faire passer – maintenant, en académies, il y a certaines contraintes, bien sûr… – Par ex., j’ai une toute nouvelle méthode de travail avec CD que j’ai découverte durant ces vacances, qui m’apporte beaucoup d’espoir, vraiment aborder les choses différemment, mêler tout ce dont nous venons de parler au côté technique.

Et le jour où cela ne me convient plus du tout, j’arrête l’académie ! Je me sens cette liberté de pouvoir le faire et de croire que ce que je fais est suffisamment « chouette » pour réussir, d’une façon ou d’une autre ; cette liberté de ne plus être complètement enfermé dans la croyance que si je laisse tomber quelque chose, il ne se présentera plus rien ; que je n’ai qu’une occasion dans ma vie.

La musique, c’est « la fête » : c’est cela qui vous pousse à jouer lors des événements marquants dans la vie, qu’il s’agisse de mariages ou d’enterrements, ou bien d’autres ?

Oui, quand on dit fête, pour moi, ce n’est pas forcément boire, danser ; quand on dit fête, moi je pense « émotion » ; c’est appuyer l’émotion d’un événement. Le mariage, c’est la joie, c’est aussi l’émotion ; donc, si je joue un Ave Maria à la scie musicale lors d’une cérémonie de mariage, j’appuie l’émotion du moment… bon, j’ai ma propre émotion ; maintenant, les personnes ressentent ce qu’elles ont envie de ressentir : cela peut être aussi bien de la joie que de la tristesse, ou de la nostalgie. Par contre, si par ex je suis dans une fête de village, ma musique va appuyer ce pour quoi les gens sont là, tout en essayant toujours d’amener ce que je ressens ; j’ai un tempérament quand même assez mélancolique, nostalgique, romantique.

Qu’est-ce qui vous pousse à jouer dans des homes pour personnes âgées ?

Je parlais de cette nostalgie… J’ai parfois l’impression que je me suis trompé d’époque : mon père parlait de la musique dans les brasseries, de ces opérettes qu’il y avait chaque semaine ; on pouvait en vivre… ces airs… moi, ça me plait… Je n’aime pas… je découvre très lentement la musique « d’aujourd’hui »…

Donc… d’abord la musique me plait, les paroles me plaisent et elles me disent quelque chose ; et j’ai le sentiment d’apporter quelque chose aux gens ; oui, c’est cela, je ne supporte pas d’être impersonnel, j’ai besoin de contacts avec les gens ; donc, là, le fait d’amener une émotion, un regard… du bien-être, de la chaleur… j’ai besoin de partager.

Dans une salle de concerts un peu impersonnelle, on ne peut pas : une fois que le spectacle est fini, c’est fini, les gens s’en vont ; chacun a son émotion mais en tant qu’artiste, je n’ai pas de « retour ». J’ai eu l’occasion de jouer dans un orchestre à Bercy et cela m’a impressionné de voir les gens si loin, de ne pas pouvoir voir leur regard tellement c’était loin, dans la pénombre ; et je comprends tous les artistes qui parlent de l’Olympia : c’est une petite salle par rapport à Bercy ou à d’autres grandes salles, mais ils recherchent certainement aussi ce contact avec le public, ce « retour ». D’ailleurs, les artistes aiment bien venir en Belgique parce qu’ils disent que les spectateurs belges sont très chauds ; justement, ils ont ce « retour » qu’ils n’ont pas forcément ailleurs de la même façon.

Vous parlez de votre nostalgie et de la manière dont cela se reflète dans votre musique : c’est vrai que vous restez très classique dans votre approche de la musique : Schubert à la scie musicale, ce n’est quand même pas banal ?

Oui… j’en reviens un peu à mon désir de me « distinguer ». Si je jouais juste de la variété à la scie musicale, à la limite, il y a d’autres joueurs de scie musicale qui le font. Maintenant, jouer du Schubert, d’autres le font ; mais par contre, du Ravel ou …du Poulenc… Là, je me distingue et c’est un peu un défi de dire « Regardez, vous, vous jouez cela avec un violon, ou vous chantez ; et moi je le fais à la scie musicale » ; c’est pour moi une fierté. J’ai même joué l’Aria de Bach à la scie musicale avec un orchestre baroque : à ma connaissance, c’est une première mondiale !

Et c’est quand même aussi retrouver vos racines classiques…

Oui. Elles sont là, elles sont importantes. Maintenant, un jour, j’aimerais pouvoir faire du jazz, essayer d’autres choses… mais c’est vrai que mes racines sont importantes ; et lorsque je joue à nouveau du classique, il y a quelque chose qui se passe en moi, un bien-être… lorsque je l’ai librement choisi, quand ce n’est pas quelque chose qui est imposé…

Musicien soliste à la scie musicale ou au cor des Alpes, musicien d’orchestre en tant que violoniste – moderne ou baroque – ou en tant que mandoliniste : en quoi est-ce différent, ou pas, pour vous ?

Il y a orchestre et orchestre : il y a l’orchestre où on vient jouer pour toucher son cachet et parce qu’il y a une occasion et voilà, il faut gagner sa vie ; et on y est tout à fait anonyme. Et comme il y a souvent très peu de budget, on a une répétition ou deux pour vite – plus ou moins ! – mettre au point un programme : on joue mais on n’a pas vraiment beaucoup de plaisir.

Et puis, il y a des orchestres où … par ex, j’ai joué dans un orchestre baroque – c’était différent – , où il y a vraiment cette notion de plaisir, cette notion d’énergie de groupe, cette notion de communiquer ; communiquer entre nous, communiquer ensemble; donc, là, c’est une expérience fantastique.

Etre soliste, c’est justement pour ce désir de communiquer et de donner et d’avoir un retour… Mais si je trouve cette même énergie dans un orchestre ou un groupe, j’ai autant de plaisir à jouer dans ce groupe qu’à être soliste. Je dirais même que mon plaisir est augmenté par le fait de d’abord d’avoir ce plaisir entre nous et de pouvoir partager ce plaisir ainsi grandi. Maintenant, je cherche toujours des occasions de rencontrer des gens avec lesquels, à long terme, avoir ce même esprit, cette même envie, cette même énergie ; ça s’est produit quelques fois dans ma vie, mais pas encore de façon durable ; mais ce sont de très bons souvenirs !

Des projets, je sais que vous en avez des tonnes : vous pouvez en citer les plus marquants ?

Un projet de nouvel instrument, c’est les verres de cristal, ce qu’on appelle le « séraphin », parce que je trouve ce son tout à fait extraordinaire ; aussi parce que c’est un instrument qui, je crois, recevra un accueil plus chaleureux de la part du public. L’approche sera plus… par ex. si je joue à un mariage, si je joue de la musique avec des verres, ce que je ferai sera alors plus proche de ce que feront les gens – càd avoir un verre en main – que si je joue de la scie … voilà, c’est par désir de proximité. C’est un instruments tout à fait fabuleux … ce sera une partie importante de mes activités, je pense. Là, j’en suis là ; sauf les instruments fabriqués, les pots à fleurs par ex., utilisés pour mes cours de musique, ou en tout cas mes cours de formation musicale, les animations dans les écoles.

Un grand projet, c’est de faire un one-man show avec tous ces instruments ; l’idée c’est que… – j’en parle dans un « concert souvenir » à la scie musicale – quand j’étais petit, je n’avais pas confiance en moi et j’avais peur de devenir un mendiant dans la rue. Or, j’ai eu l’occasion justement, en jouant de la scie musicale sur une scène, « par hasard », de jouer le rôle d’un mendiant devant 1700 personnes au cours d’une opérette et d’avoir été ce mendiant à ce moment-là, symboliquement, j’ai passé un cap. Mais j’ai envie de repartir de cette histoire, d’être un mendiant avec plein d’instruments autour de moi – d’instruments, non, d’objets ! – et ces objets vont prendre vie parce que je vais recommencer à rêver… me construire ce monde que j’essaie de construire pour les enfants, le construire moi-même. Par ex. il y aura un simple tuyau, une scie toute rouillée et plein d’autres choses; et moi, je leur donnerai vie et en ferai sortir des sons ; et j’imagine, je ne sais pas encore très bien comment, que le décor et le costume vont se modifier pour, à la fin, montrer un personnage vraiment… un artiste intérieurement riche…montrer aussi que l’imagination a énormément d’importance, car le spectacle sera le reflet de ce que nous ressentons à l’intérieur de nous-mêmes, moi en tant que musicien acteur et le public qui reçoit ce spectacle ; parce que ce mendiant sera toujours un mendiant… Ça, c’est un projet à long terme.

Personnellement, et aussi avec mon épouse, des idées aussi qui vont se mettre en route…

Quelques idées de duos, aussi, je pense ?

Oui… maintenant, j’essaie de trouver du plaisir en solo ; je pars tout seul mais puis après, si des rencontres viennent se greffer, c’est fantastique ! Oui, bien sûr, il y a des choses en route : un projet de CD avec un organiste, un projet de CD avec un pianiste ; et des projets de spectacles aussi : j’aime beaucoup – plutôt que d’être soliste à la scie musicale ou à d’autres instruments – j’aime beaucoup accompagner des chorales, d’autres musiciens ; venir apporter une émotion supplémentaire… Oh, mon rêve, ce serait qu’un chanteur, un artiste connu et apprécié, me demande de l’accompagner, me demande justement d’appuyer une émotion avec ma musique… ça, ce serait un rêve, un accomplissement… tout autant qu’un rêve financier qui me permettrait de trouver d’autres libertés, par ex d’avoir un studio chez moi et de faire des découvertes … d’enregistrer moi-même et aller beaucoup plus loin encore dans la création…
Merci !